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Review #1 / The Alters : "Car Je est un autre."

  • Photo du rédacteur: Hugo Angel
    Hugo Angel
  • 6 juil. 2024
  • 10 min de lecture


Après les réussis et acclamés This War of Mine et Frostpunk, le studio polonais 11bits studio propose la démo de son futur jeu The Alters, fidèle à l’ADN du studio : une alliance entre un scénario fort et prenant et une gestion complexe.


Le studio et son jeu.


Créé par des anciens employés de CD Projekt Red et Metropolis Games, 11bits studio voit le jour en 2010 à Varsovie.

Il développe son premier jeu, Anomaly : Warzone Earth, premier opus de la série Anomaly, en 2011. Mais c’est avec le jeu de gestion This War of Mine, sorti en 2014, et devenu rentable en moins de 48h, que le studio connaît son premier succès commercial et critique (1). Il récidive avec Frostpunk en 2018, rentable en moins de 72h avec 250 000 copies vendues (2). Un an plus tard, le jeu s’est écoulé à 1,4 millions d’unités (3), et finit par atteindre 5 millions de vente en 2024 (4). Également éditeur, l’entreprise a à son actif le très réussi The Thaumaturge (Fool's Theory, 2024), le jeu d’aventure The Invicible (Starward Industries, 2023), ou encore Children of Morta (Dead Mage, 2019). Après le passé historique du siège de Sarajevo (This War of Mine), un futur apocalyptique ravagé par le refroidissement climatique (Frostpunk), 11bits studio nous emmène, avec The Alters, dans un futur SF où l’humanité a maîtrisé le voyage interstellaire.

Le joueur incarne Jan Dolski, employé d’une entreprise de minage, envoyé en mission sur une planète lointaine, et seul survivant du crash de son vaisseau. Jan dispose d’un temps limité pour s’échapper de la planète, dont la surface se retrouvera bientôt brûlée par l’étoile du système. Pour pouvoir réparer et redémarrer son vaisseau, il ne sera pas seul, mais pourra compter sur ses Alters, des copies de lui-même, créées à partir du rapidium, une substance extrêmement rare qui permet la croissance ultra rapide de n’importe quel matériau génétique.



Première impression.


Je découvre The Alters quelques jours après la sortie de la démo. Je suis frappé en premier lieu par le visuel diffusé sur Steam, lors du Steam Neo Fest.

Visuel Steam

Jan y apparaît entouré de ses Alters, ces différentes versions de lui-même, ni tout à fait les mêmes, ni tout à fait autres (5).


J’ai de suite été frappé par le côté punk/rock de ce visuel, qui n’est pas sans rappeler certaines affiches de groupes musicaux.



Jaquette de l'album Out Of Nothing du groupe Embrace
Visuel promotionnel du groupe Ok Go
Affiche du groupe Imagine Dragons


L’accent est mis sur un collectif fort, uniformisé, mais laissant tout de même la place à la singularité de chacun de ses membres. Les visages des personnages montrent toute une variété d’émotions et d’états d’esprit, de la colère et l’agressivité à la séduction et l’espièglerie. Chaque Jan, bien que physiquement similaire aux autres, est dépeint comme un être singulier, traversé par ses propres émotions, et probablement ses propres désirs et opinions.

Au milieu du groupe, le Jan originel, clairement identifiable grâce à la différence de lighting, semble à la fois dans et hors du groupe. Le visuel préfigure une ambiguïté, un dilemme. On imagine sans difficulté que Jan aura du mal à trouver comment interagir avec ses copies.

Le concept du jeu promet ainsi des problématiques scénaristiques centrées sur le rapport à soi même, qui se trouve ici interrogé par le visuel, ainsi que par la tagline « All by myselves ». Il n’y a plus un seul soi, mais des « sois ». Il n’y a plus une identité, mais des multiplicités. Le soi est posé comme une altérité avec laquelle il faudra composer.


Lucy in the Sky with Diamonds.


L'une des premières images de là démo. On ne sait pas réellement ce que l'on regarde, avant que la caméra dézoome pour dévoiler l'océan de la planète.

Si, à ce stade de démo, les graphismes sont encore un peu bruts, une forte DA visuelle se dessine déjà, dans une esthétique sombre, moderne et psychédélique.



Vue de loin de la pièce des communications

Deux environnements sont pour l’instant visible : un paysage extérieur noir et rocailleux, bordé par une mer iridescente, et l’intérieur de la base, majoritaire blanc froid et aseptisé.


Jan en communication. La forme d'onde qui se dessine peut-être prise pour une bouche. Une forme de paréidolie ?

La mer iridescente, tout droit sorti d'une hallucination.










Le rapidium, élément central du jeu, prend la forme d’une substance mouvante ni solide, ni liquide, ni gazeuse (ou peut-être les trois à la fois).


Le rapidium, qui semble déformer l'espace alentour.

La cinématique de création du premier Alter nous emmène dans des visuels de clip musical, ou des images relevant parfois de l’impression difficilement identifiable le disputent à une musique synthwave trippy et planante.


Le test de Rorschach a pris des couleurs.

L'alter né de Jan, du dédoublement de son corps, mais également de son esprit.









Dans cet univers où Dead Space (EA Games, 2008) rencontre à Jefferson Airplane, les graphismes semblent avoir été pensés en partie pour dérouter le joueur et le faire douter de la fiabilité de sa perception visuelle.

La musique n’y est justement pas pour rien dans cette impression d’expérience sous LSD. Elle est planante, diffuse, non rythmée, majoritairement constituée de nappes et de drones synthwave.

Enfin, le sound design s’inscrit dans une DA sci-fi, informatique et synthétique. Il est simple et efficace, et donne à entendre juste le nécessaire. Si il est pour l’instant assez basique, peut-être sera-t-il développé dans la version finale du jeu ? Il y a en tout cas un potentiel certain pour proposer des sons hors du commun, étranges, voire perturbants.


De la survie avant toute chose.


L’aspect survie du gameplay est basé sur un système de collecte et de gestion des ressources et du temps. Le jour, le joueur peut sortir explorer pour collecter des ressources lui permettant d’améliorer/réparer son QG, mais également de se nourrir. La nuit, les radiations sur la planète rendent toute sortie impossible. Chaque tâche (collecte de ressource, construction, réparation…) prend un temps fixe, modulé par les compétences du personnage en charge de cette tâche, ainsi que par son niveau de fatigue et son état d’esprit. Le joueur doit consacrer ce temps à l’entretien de la base, mais également au repos et à la préparation des repas pour tous l’équipage. Tous les occupants doivent être nourris et dormir chaque jour, sous peine d’être affaiblis et donc moins efficaces. Cette mécanique (déjà présente dans This War of Mine et Frostpunk), couplée à la contrainte temporelle, laisse présager un choix de placer le joueur en situation d’urgence de manière régulière, même si, à ce stade, il y a trop peu d’objectifs proposés pour que le temps vienne réellement à manquer.

Ce gameplay est somme toute assez classique, et déjà connu d’une partie des joueurs, puisqu’il est hérité de This War of Mine et Frostpunk, et déjà été utilisé dans des jeux d’autres studios, comme Siege Survival : Gloria Victis (Black Eye Games, 2021), Orphan Age (Studio Black Flag, 2023, encore en démo) ou Cult of the Lamb (Massive Monster, 2022). De plus, il est en réalité une adaptation micro de mécanismes de gestions classiques du genre, à l’origine plus macro, tels que les séries Anno (Max Design, Related Designs, Ubisoft) et The Settlers (Blue Byte), ou le génial Rimworld (Ludeon Studio, 2018).

Si à ce stade de démo, la mécanique est déjà bien mise en place et compréhensible pour les joueurs, elle est encore handicapée par une interface peu lisible : il est compliqué de garder le compte des ressources et de leur utilisation, notamment la nourriture. On peut aussi facilement oublier la jauge de radiation, qui signe pourtant l’arrêt de mort du joueur si elle est remplie. Enfin, l’horloge (colorée dans le rose des visuels promotionnels), n’est tout simplement pas compréhensible. Dommage, quand on sait l’importance qu’aura le temps dans le jeu.


En exploration, l'interface est peu lisible. Notamment le niveau de radiation mortelle (la minuscule pastille jaune en bas à gauche).

Cette difficulté semble d’ailleurs être déjà conscientisée pour les développeurs, puisque le formulaire de feedback propose un item concernant l’interface et sa lisibilité.


Les trois premiers items d'une des questions.

Une autre question.








Les Alters


Le Life Path, modélisé d'après des neurones.



Le mécanisme de création des Alters reposent sur une proposition unique : le Branching (embranchement).


Chaque neurone est un évènement de la vie de Jan. Zoomer encore plus permet d'accéder à un texte décrivant cet évènement.




Par l’intermédiaire d’une machine appelée Quantum Computer (ordinateur quantique), Jan peut visualiser son Life Path (chemin de vie) et le modifier pour créer une version de lui-même ayant un passé différent, et donc une personnalité et des compétences différentes.






Le premier embranchement créé.

Ce système semble un « retournement » de la mécanique de dialogues à choix multiples, grand classique du jeu vidéo. Le joueur est ici posé en destinataire du dialogue, et est changé par les options choisies. Toutes les possibilités du choix multiple cohabitent dans un seul et même déroulé.

Chaque version de Jan diffère ainsi du protagoniste originel, et développe des compétences différentes. Dans la démo, l’exemple est donné par un Jan mécanicien, qui, ayant fait le choix de rester à la maison plutôt que de fuir son père violent, ne part jamais à l’université (choix qui conduira le personnage principal, après des accidents de la vie, à devenir mineur), mais obtient un travail de mécanicien chez un patron qui deviendra un père de substitution. Le Jan ainsi créé utilise ses compétences en mécaniques pour aider le joueur à réparer certaines systèmes endommagés du vaisseau.

La bande-annonce et les visuels de communications montrent d’autres versions de Jan aux compétences différentes : un scientifique, un musicien...


Une importante mécanique d’interaction est montrée dans la démo. Les dialogues avec les clones semblent être amenés à devenir primordiaux, probablement essentiels à la victoire du joueur. Par rapport aux jeux précédents de 11bits Studio, ils sont une nouveauté, ou du moins bien plus exploités qu’avant.

Il y a une volonté claire de développer l’identité de chaque personnages. Le Jan originel, bien entendu, mais également chacun de ses clones, permettant de se rendre compte de l’impact des embranchements de vie, et d’explorer ce que le protagoniste aurait pu devenir. Par l’intermédiaire d’autres personnages, c’est en fait toutes les possibilités de Jan que l’on découvre.

Dans la démo, la caractérisation de l’Alter est notamment renforcée par un « moment émotion » (rappelant les têtes à têtes du premier Xenoblade Chronicles (Monolith Soft, 2010), ou bien les interactions avec les esprits dans Spiritfarer (Thunder Lotus Games, 2020)), lors duquel les deux Jan mangent des pierogis qu’ils ont cuisinés en se remémorant un moment de complicité avec leur mère. On peut imaginer que chaque clone aura ce moment unique, en se basant sur un souvenir commun avec le Jan originel, peut-être même avec d’autres Alters.

Le doublage permet également de bien différencier les personnages et de donner à chacun une identité propre. Dans la démo, les deux Jan n’ont pas du tout la même voix et la même façon de s’exprimer. Chacun est unique dans sa vocalité.


Enfin, toujours sur le plan interactionnel, une mécanique d’émotion est introduite, dans laquelle des petites bulles apparaissent lors des dialogues, pour montrer l’état d’esprit de l’Alter et son évolution.


Dialogue tendu avec Jan mécanicien.

On imagine qu’il faudra maintenir les Alters dans un état de bon humeur, sous peine de les voir devenir moins efficaces, refuser d’effectuer des tâches, et peut-être même compromettre l’objectif, voire quitter le vaisseau.


Avec de la patience et de la diplomatie, on arrive à améliorer l'humeur des alters.

Enfin, une mécanique de gestion « logistique » des personnages est esquissée. Il faudra tout d’abord s’assurer que leurs besoins sont contentés (nourriture dans un premier temps, mais peut-être également hygiène et divertissement, à la Rimworld), et nous l’avons déjà vu, les garder heureux.

Le déroulé de la démo, lors de laquelle Jan mécanicien nous aide à réparer un module de la base, ainsi que certains passages des bande annonces montrant des Jan à des postes de travail, semble annoncer qu’il sera possible de déléguer certaines tâches aux Alters (peut-être la cuisine, la récolte des ressources…).

Au vu de ces éléments, on peut se demander quelle relation le joueur aura avec les Alters, et de quelle manière il devra les gérer. Bien souvent, les jeux utilisant des clones montrent ces derniers comme sacrifiables, car simple copie de l’original, réduite à l’état d’outil. On peut ainsi penser aux ombres dans The Company of Myself (Eli Piilonen, 2009), aux Lemmings du jeu du même nom (DMA Design, 1991), ou encore au clone piégé de Shako dans League of Legends (Riot Games, 2009). Le clone est aussi souvent vu, dans la culture populaire, comme une menace pour l’original. En jeu vidéo, on trouve notamment l’exemple du clone de Shepard dans le DLC « Citadel » de Mass Effect 3 (EA Games 2012) et Pitwo, le clone de Pit dans Kid Icarus : Uprising (Project Sora, 2012). Dans d’autres domaines, on peut citer le film Gemini Man (Ang Lee, 2019), ou le roman Dualed (Elsie Chapman, 2013).

The Alters incarne une voix médiane entre ces deux tendance, où le clone, bien qu’une copie de l’original, est perçu comme unique. Le clone est valorisé pour sa différence, pour la perspective qu’il offre sur le personnage, et devient sujet de solidarité et de compassion. Ce chemin avait déjà été esquissé dans des jeux utilisant des personnages perçus comme tous identiques (sans pour autant être des clones) : Othercide (Lightbulb Crew, 2020) ou encore Oddworld (OddWorld Inhabitants, 1994). Les personnages, étant tous ressemblant, se doivent d’être solidaire et de prendre soin des autres.


Quel futur ?


La démo est très prometteuse, et le jeu s’inscrit clairement dans la continuité des précédents produits du studio, en mêlant un parti pris narratif fort et une gestion exigeante. On peut se demander jusqu’où sera d’ailleurs poussée cette exigence. Doit-on s’attendre à des défaites à la Frostpunk, où les citoyens meurent les uns après les autres parce que le joueur n’aura pas su anticiper un évènement (comme une certaine tempête à la fin du premier scénario) ? A des morts tragiques à la This War of Mine, ou un personnage est emporté par une infection, contractée parce que le joueur n’a pas su trouver de médicaments ? Ou bien ce jeu sera-t-il un peu plus indulgent que ces prédécesseurs ?

La présence d’une mécanique d’écoulement du temps laisse préfigurer les deux premières options, avec la promesse pour le joueur de se retrouver régulièrement dans une situation d’urgence.

Les choix de feedback proposés par les devs donnent une idée de la direction vers laquelle évolue le développement.

Qu'a t-on aimé dans la démo ?

Ce que l'on aimerait voir dans le jeu final.













Que n'a t-on pas aimé dans la démo ?

On y voit des interrogations sur l’accessibilité et la lisibilité avec notamment le premier item concernant l’interface (que j’ai déjà abordé plus haut), mais également une inquiétude sur la clarté des tutoriels (dernier item). Les devs semblent également s’interroger sur l’équilibre entre la narration et la gestion, voire se poser la question de la pertinence de certaines mécaniques.

Mis à part les quelques défauts, normaux pour une version démo, que j’ai évoqué, The Alters est déjà un excellent jeu dans sa version work in progress, et promet une nouvelle belle réussite de la part de 11bits studio, qui n’en finit plus de réinventer le genre de la gestion. Je suis enthousiaste à l’idée de retrouver les aventures de Jan et ses clones en version complète !

Les développeurs n’ont pas encore dévoilé de date de sortie et la page Steam indique seulement 2024. On peut cependant craindre que le récent report de la date de sortie de Frostpunk 2 à septembre 2024 (6) ne laisse pas la place pour une sortie de The Alters avant le 1er trimestre 2025. D’ici là, la démo est encore disponible (elle devait initialement être retirée au 17 juin), et le studio communique régulièrement à propos du jeu sur son serveur Discord.



Titre : Arthur Rimbaud, dans une lettre à Paul Demuny en 1871.

1 Plume, « This War Of Mine rentable en deux jours (et autres statistiques) », Gameblog [en ligne], https://www.gameblog.fr/jeu-video/ed/news/this-war-of-mine-rentable-en-deux-jours-et-autres-statistiques-43243 [consulté le 01/07/24].

2 ChewbieFR, « Avec plus de 250.000 ventes, Frostpunk est déjà rentable », JeuxVideo.com [en ligne], https://www.jeuxvideo.com/news/839238/avec-plus-de-250-000-ventes-frostpunk-est-deja-rentable.htm [consulté le 01/07/24].

3 Elrizzt, «  Depuis sa sortie, Frostpunk s’est écoulé à 1,4 millions d’unités sur PC », Warlegend.net [en ligne], https://www.warlegend.net/frostpunk-vente-14-million-pc/ [consulté le 01/07/24].

4 Cael, « Frostpunk dépasse les 5 millions de vente », Les Numériques [en ligne], https://www.gamekult.com/actualite/frostpunk-depasse-les-5-millions-de-ventes-3050858380.html [consulté le 01/07/24].

5 La phrase exacte est « Ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre. »

VERLAINE, Paul « Mon rêve familier » in Poèmes Saturnien, Paris, Folio, 2010. (1ere ed. Paris, Alphonse Lemerre, 1866)

6 LAFLEURIEL, Erwan, YIN-POOLE, Wesley, « Frostpunk 2 repoussé de deux mois pour répondre aux retours de la Beta », IGN France [en ligne], https://fr.ign.com/frostpunk-2-1/70686/news/frostpunk-2-repousse-de-deux-mois-pour-repondre-aux-retours-de-la-beta [consulté le 01/07/24].

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