Review #2 / There Came An Echo
- Hugo Angel
- 10 déc. 2024
- 8 min de lecture

There Came An Echo est un jeu PC développé et édité par le studio indépendant américain Iridium Studio. Sorti en 2015, il est la suite de leur premier jeu, Before The Echo (1), jeu de rythme incorporant des éléments de RPG. Le jeu avait reçu un accueil mitigé, se voyant reprocher une mauvaise maîtrise de ses mécaniques centrales, ainsi qu’une grande répétitivité. Il fut néanmoins salué pour l’essai de renouveler la pratique du jeu de rythme (2).
Ce deuxième opus fut financé par le biais d’une campagne Kickstarter ayant eu un gros succès : 115 569 dollars furent récoltés grâce à 3906 contributeurs, sur un objectif initial de 90 000 dollars (3). Il reçut un accueil plus enthousiaste que son prédécesseur (58 sur metacritic (4), évaluations « plutôt positives » sur Steam) et fut notamment remarqué pour son utilisation de la reconnaissance vocale (dont nous reparlerons plus tard). Il se voit cependant reprocher une mécanique de stratégie qualifiée de fragile (5).
Le studio travaille actuellement sur un « RPG non-annoncé, avec un partenaire non annoncé, sur une plateforme non-annoncée. Tout cela est très mystérieux. (6) »
Le jeu
Dans une DA futuriste et minimaliste mêlant des couleurs froides a des formes géométriques simples, le joueur incarne Sam, un personnage indéterminé, qui ne prend vie que par sa voix. Sous la supervision de la mystérieuse Val, et depuis un lieu inconnu, Sam doit guider une équipe composée de 4 personnages (Corrin, Grace, Miranda et Syll), qui sont poursuivis par une organisation dont le but est de voler la clef de cryptage d’un programme développé par Corrin, qui a servi à protéger des informations « dangereuses ». L’aventure de Corrin se mêle aux histoires personnelles des autres personnages : Grace cherche à venger sa sœur, tuée par Farrick, l’antagoniste principale, Syll veut venger sa femme, tuée par un hacker ennemi…
Les buts des personnages s’intriquent dans le scénario du jeu, qui est cependant parfois rendu complexe par le mélange de toutes ces histoires. Les nombreux rebondissements peuvent parfois faire perdre en clarté, mais sont cependant satisfaisants en inscrivant le jeu dans le trope des œuvres d’espionnages et d’enquêtes.
Les personnages, stylisés dans une esthétique simple et efficace, sont assez bien caractérisés (tant dans leur apparence que leur écriture), quoique parfois caricaturaux (le héros malgré lui, la jeune femme avide de vengeance, le guerrier parfait au lourd passé, la mercenaire sans foi ni loi). Ils sont quand même agréables à suivre et à jouer, et les dynamiques interpersonnelles évoluent bien. On finit par s’attacher à ce petit groupe hétéroclite et à sa dynamique.
La vue isométrique et les différents niveaux de zoom couplées aux décors géométriques donne une impression de diorama / maquette, qui renforce le rôle du joueur en tant qu’entité « supérieure », presque omnisciente. Il est inclus dans l’espace ludique sous le signe du pouvoir et de la responsabilité, devant se servir de sa vision globale pour guider et protéger les personnages.
Les voix
C’est dans le contrôle des personnages que réside le véritable point fort de There Came an Echo : celui-ci est intégralement réalisé par le biais de commandes vocales simples, en langage militaire. Si cette mécanique n’est pas une première dans le jeu vidéo (7), There Came an Echo marque un tournant dans l’utilisation de ce type de contrôle, tant par la maîtrise technique de la commande vocale, extrêmement réactive dans de nombreuses langues, que par son intégration réussie au scénario.
Cette réactivité permet une véritable efficacité du gameplay, avec une courbe d’apprentissage rapide, dans une optique « Easy to learn, hard to master ». Une fois le contrôle vocal pris en main, le joueur doit rapidement faire face à des cartes de plus en plus étendues, et des situations de plus en plus complexe. Le jeu devient alors une véritable épreuve d’observation, de diction et d’organisation verbale. Il exige du joueur d’avoir les yeux partout, et de savoir maîtriser son débit de parole et organiser les ordres. Il faut réfléchir à toute vitesse sans céder à la panique. Cette difficulté est une véritable occasion pour le joueur de se mettre dans la peau de Sam, et d’expérimenter la frénésie du contrôle de l’escouade de personnages.
En plus de proposer une modalité de contrôle innovante, les commandes vocales permettent à There Came an Echo d’instaurer un rapport au son unique, par le phénomène d’ergo-audition (Chion, 1998) : le joueur entend sa propre voix comme un élément du jeu, dans une boucle audio-phonatoire, à la fois intérieure et extérieure à lui. La voix du joueur coexiste et dialogue avec celle des personnages (qui répondent à nos ordres par des feedbacks vocaux), et s’intègre alors dans le jeu comme une voix supplémentaire.
Ceci a plusieurs effets. Tout d’abord, chaque joueur expérimente le son du jeu d’une manière différente des autres, car il a accès à un son que les autres joueurs n’entendront probablement jamais : sa propre voix.
Dans tout jeu, le joueur est bien sûr amené à faire une expérience du son unique, le jeu réagissant aux inputs des joueurs, déployant ainsi son potentiel sonore selon la temporalité et les choix de chaque joueur : aucune partie n’est la même qu’une autre. Cependant, chaque joueur a accès au même répertoire de son que les autres. D’une partie à l’autre, seule l’organisation des sons, le paysage sonore, se voient modifiés. Le répertoire, lui, reste le même (8).
Dans There Came an Echo, chaque joueur accède à un répertoire unique, par le biais de sa propre voix (9). Il découvre la manière qu’a sa voix d’interagir avec les sons émis par le jeu. Il entend la superposition, et parfois l’opposition des timbres. Il peut parfois, s’il parle trop fort, couvrir les sons du jeu. Il peut voir le jeu lui résister s’il ne parle pas distinctement. Il doit alors, dans une opération de mixage immédiate (presque dans une démarche « d’auto sound design ») accorder sa voix avec le jeu et les autres sons. Il devient un véritable acteur de la production du son du jeu, et peut-être même, un personnage du jeu.
Fiction de soi
Pour explorer cette idée, il nous faut évoquer le travail du philosophe Kendall Walton, dans son ouvrage de 1990 Mimesis as Make-Believe: On the Foundations of the Representational Arts. En utilisant la métaphore d’enfant jouant à un jeu de Make Believe (que l’on pourrait traduire par un jeu de « faire semblant » ou, en langage plus enfantin, faire « pour de faux »), il y développe la notion de prop, qu’il définit comme un objet permettant de générer des vérités fictionnelles dans le contexte du jeu. Dans son exemple, les enfants imaginent que les souches d’arbres qu’ils trouvent dans la forêt sont des ours qu’ils doivent fuir. Dans le contexte de la fiction du jeu, il est vrai que les souches d’arbres sont des ours. Cependant, cette vérité est fictionnelle, car seulement valable dans le contexte du jeu imaginé par les enfants. Les souches deviennent alors des props, que les enfants utilisent pour bâtir la fiction nécessaire au jeu.
En allant plus loin, il développe l’idée qu’en jouant, le joueur lui-même se constitue en tant que prop : « Les rôles que les enfants jouent dans leur jeu dépassent la simple satisfaction de la condition minimale de participation. Ils sont eux-mêmes des props, du type réflexif : ils génèrent des vérités fictionnelles à propos d’eux-mêmes. » (Walton, 1990, notre traduction)
C’est de cette idée que l’on peut dégager la spécificité de la relation entre le joueur et le jeu, dans le cas de There Came an Echo.
D'après Walton tout jeu (vidéo) implique la constitution du joueur en tant que prop réflexif. Le joueur génère a minima la vérité fictionnelle qu’il agit sur le monde du jeu, le transforme et le fait avancer par ses actions, quand en réalité, il ne fait que progresser dans ce que le jeu attend de lui (10). Son avancée est déjà comprise dans le code. Cette vérité se génère cependant par un intermédiaire créant une distance entre le jeu et le joueur : le contrôleur, quelle que soit sa nature. Si le joueur peut imaginer que ses actions influencent le monde du jeu, il lui est en revanche plus difficile de croire qu’il est dans le monde du jeu, qu’il en est un personnage (11).
There Came an Echo vient totalement changer la donne de cette relation entre jeu et joueur. En combinant le contrôle vocal à une volonté assumée d’identification entre le joueur et le personnage (il est directement désigné comme étant Sam), le jeu permet au joueur de générer la vérité fictionnelle qu’il est le protagoniste, et que les autres personnages l’entendent directement, et s’adressent directement à lui. En allant plus loin, il peut même imaginer que la pièce dans laquelle il se trouve est le centre de contrôle depuis lequel il parle aux personnages.
There Came an Echo propose ainsi une expérience unique : celle de pénétrer la diégèse (12). Le joueur n’est plus réellement un élément extérieur au jeu, mais peut être considéré comme un personnage supplémentaire, dialoguant avec les pawns à l’écran. Le cercle magique s’étend (Conway, 2010) pour englober la voix du joueur, mais également le joueur lui-même, et la pièce dans laquelle il se trouve (13).
1 Before the Echo a été initialement commercialisé sous le titre Sequence, et fut renommé en 2015, suite à une action en justice du créateur de jeu de plateau Douglas Reuter, qui a lui même commercialisé un jeu nommé Sequence en 1982. Voir Whittaker, M. (2015). Iridium Studios Bullied into Renaming Its Debut Title. Hardcore Gamer. https://hardcoregamer.com/news/iridium-studios-bullied-into-renaming-its-debut-title/142045/
2 Neigher, E (2012). Sequence Review. IGN. https://www.ign.com/articles/2011/11/03/sequence-review
5 Whittaker, M (2015). Review : There Came an Echo. Hardcord Gamer. http://www.hardcoregamer.com/2015/02/23/review-there-came-an-echo/136011/
6 https://playiridium.com/. Ma traduction.
7 Plusieurs jeux ont proposé des mécaniques de contrôle vocal, souvent de manière partielle, tels des titres comme Tom Clancy’s Endwar (2008) ou Mass Effect 3 (2012), qui mêle contrôle à la manette pour le personnage joueur et possibilité de donner des ordres vocaux aux compagnons du joueur. La voix est dans ces cas une feature alternative. Les jeux Bot Colony (2014) ou Lifeline (2003) ont tenté une véritable intégration de la commande vocale comme feature principale, mais ont souffert d’une technique mal maîtrisée, et furent des échecs critiques et commerciaux.
8 Cette affirmation peut-être nuancée par la réalité technique du développement de jeu vidéo : les différentes consoles ayant chacune leurs propres spécificités techniques, il est parfois nécessaire de réduire le panel d’assets sonores.
9 Le jeu prenant également en charge plusieurs langues, et proposant une personnalisation des commandes vocales, les possibilités en sont d’autant plus augmentées.
10 Les jeux à gameplay émergent peuvent nuancer cette affirmation, les joueurs pouvant créer des situations inattendues.
11 Cela est d’autant plus vrai dans les jeux à la troisième personne, où le joueur voit le personnage qu’il contrôle.
12 Pour une définition de ce terme complexe, et même controversé, voir Boillat 2009.
13 On peut d’ailleurs ajouter que la pièce modulant le son du joueur par le phénomène de réverbération, son rôle dans la constitution de l’expérience sonore devient essentiel.
Bibliographie
Chion, M. (2018). Le Son. Armand Colin.
Conway, S. (2010). A circular wall? Reformulating the fourth wall for videogames. Journal of Gaming & Virtual Worlds, 2(2), 145‑155. https://doi.org/10.1386/jgvw.2.2.145_1
Neigher, E (2012). Sequence Review. IGN. https://www.ign.com/articles/2011/11/03/sequence-review
Van De Mosselaer, N. (2018). Fictionally Flipping Tetrominoes? Defining the Fictionality of a Videogame Player’s Actions. Journal of the Philosophy of Games, 1(1). https://doi.org/10.5617/jpg.6035
Van De Mosselaer, N. (2022). Breaking the Fourth Wall in Videogames. In E. Terrone & V. Tripodi (Éds.), Being and Value in Technology (p. 163‑186). Springer International Publishing.
Walton, K. L. (1990). Mimesis as make-believe : On the foundations of the representational arts. Harvard University Press.
Whittaker, M. (2015). Iridium Studios Bullied into Renaming Its Debut Title. Hardcore Gamer.
Whittaker, M (2015). Review : There Came an Echo. Hardcord Gamer
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